Politiques du logement : des annonces qui inquiètent le monde de la recherche

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L'APPEL À SIGNATURE EST DÉSORMAIS CLOS, LA TRIBUNE PARAÎTRA DANS LE JOURNAL LE MONDE TRÈS PROCHAINEMENT



Ci-dessous, le texte de la tribune destinée à un quotidien national.

Elle est ouverte à la signature de chercheuses et de chercheurs spécialistes des politiques urbaines, des politiques du logement, des inégalités urbaines et de l’habitat.

La publication de la tribune est associée à la tenue d'une journée d'étude, le 16 mai 2023 en matinée, à Paris (site Pouchet du CNRS).



Politiques du logement : des annonces qui inquiètent le monde de la recherche


Le mal-logement, qui touche près de 4 millions de personnes, et l’explosion du nombre de sans domicile (330 000 aujourd’hui, 2,3 fois plus qu’il y a dix ans), constituent les manifestations les plus visibles d’une crise du logement qui n’affecte pas seulement les plus pauvres. L’explosion des prix de l’immobilier (le prix des logements anciens a été multiplié par trois depuis 1998) renforce les inégalités patrimoniales en même temps qu’elle pèse sur le pouvoir d’achat des ménages, qui consacrent désormais plus du quart de leur budget à cette dépense contrainte. La crise rejaillit sur les entreprises, qui peinent à recruter dans les territoires où les prix des logements ont atteint des niveaux qui les rendent inaccessibles aux classes moyennes. Elle contribue à la crise écologique en repoussant ces dernières vers des espaces périurbains toujours plus lointains, au prix d’une artificialisation des sols et d’une automobilité contrainte. Elle renforce enfin la ségrégation socio-spatiale, dont on mesure chaque jour les effets délétères sur la cohésion sociale et les inégalités.


Le « choc d’offre » annoncé par Gabriel Attal dans son discours de politique générale pour résoudre cette crise laisse pour le moins circonspect. La promesse avait déjà été faite par le candidat Macron en 2017 mais les mesures adoptées depuis ont produit l’effet inverse. La ponction étatique sur les recettes des bailleurs sociaux, à hauteur de 1.3 milliard d’euros par an, a abouti à un effondrement de la construction HLM, passée sous le seuil des 100 000 unités par an depuis 2020 (contre 126 000 en 2016). Combinée avec la hausse des taux d’intérêt, cette mesure a fait plonger la production neuve, qui a diminué de 35 % entre 2017 et 2023. Le gouvernement s'enferre ainsi dans une politique inefficace, restant sourd aux interpellations et aux propositions des acteur·rices du secteur, comme aux analyses des chercheur·ses.


Le Conseil national de la refondation (CNR) Logement mis en place en septembre 2022 avait pourtant permis de rapprocher des acteurs aux intérêts éloignés, des promoteurs privés aux bailleurs sociaux en passant par les associations de défense des personnes mal-logées. La concertation avait abouti à l’élaboration de nombreuses propositions visant à renforcer l’accès de toutes et tous à un logement digne, abordable et durable. La suite est connue : le ministre qui avait porté le CNR a été exfiltré du gouvernement un mois après la fin de ses travaux et son successeur est resté en poste moins de six mois. Il a été remplacé en février dernier par Guillaume Kasbarian, dont les initiatives et les prises de position lorsqu’il était député laissent peu de doute quant aux suites qui seront données aux propositions du CNR, enterrées comme l’ont été celles issues d’autres opérations de « démocratie participative » comme la convention citoyenne sur le climat.


Les annonces récentes du Premier ministre vont aussi à rebours des connaissances établies par les chercheuses et les chercheurs, y compris lorsque celles-ci ont été réalisées à l’occasion de démarches évaluatives initiées par les administrations compétentes. C’est notamment le cas pour la loi SRU et son article 55, dont les effets et les limites ont été précisément mesurés à l’occasion de son vingtième anniversaire. Le bilan aurait dû conduire à un durcissement des contraintes pesant sur les communes réfractaires au logement social. Au contraire, Gabriel Attal a annoncé leur assouplissement, avec l’intégration des logements dits intermédiaires dans les quotas de logements sociaux. Cet assouplissement de la loi SRU n’était demandé par personne, si ce n’est une poignée de maires de communes très favorisées qui transgressent délibérément la loi depuis de longues années, préférant payer des amendes plutôt que d’accueillir sur leur territoire du logement social. Le blanc-seing donné à ces élus délinquants, qui bénéficient d’une indulgence coupable de certains préfets, marque l’abandon de la principale mesure de l’arsenal législatif de la lutte contre la ségrégation résidentielle. Venant après l’enterrement d’initiatives visant à lutter contre la ségrégation scolaire, ceci constitue un encouragement de plus en plus décomplexé en faveur du séparatisme des plus riches.


La seconde mesure annoncée par le Premier ministre a été moins commentée, alors même que sa combinaison avec la première ne pourrait qu’amplifier la ségrégation et réduire à néant les perspectives de mobilité résidentielle et d’accès à un logement digne pour des centaines de milliers de ménages. La promesse de « donner la main aux maires pour la première attribution des nouveaux logements sociaux construits sur leur commune » revient en effet à inscrire dans la loi une « préférence communale » qui est déjà une réalité dans de nombreux territoires, du fait d’arrangements informels entre élus, bailleurs sociaux et préfectures. Dans un contexte d’explosion des files d’attente à l’entrée du parc HLM (plus de 2,6 millions de personnes sont en attente d’un logement social en 2022), donner aux seuls maires la possibilité de choisir les locataires limitera l’accès aux ménages déjà présents dans la commune et bloquera de façon corollaire les possibilités de mobilité de tous les autres.


Au-delà de ces mesures affectant le logement social, c’est l’orientation austéritaire sous-tendant l’ensemble de la politique du logement menée depuis 2017 qui mérite d’être interrogée. L’effort public pour le logement a atteint un point historiquement bas : 1,6 % du PIB en 2023, alors qu’il s’élevait à 2,2 % en 2010. Ce désengagement étatique s’accompagne d’incitations pressantes pour que les bailleurs sociaux vendent leur patrimoine. Depuis 2018, les tentatives se multiplient pour ouvrir le secteur aux marchés financiers, sans véritable succès jusqu'à présent – mais jusqu’à quand, compte tenu des pressions structurelles qui pèsent sur les bailleurs ? Comme le montrent là encore moult travaux scientifiques, les effets à moyen et long termes de ces politiques ne peuvent être que ravageurs. L’exemple britannique, avec le funeste right to buy de Margaret Thatcher, en témoigne, tout comme celui des villes allemandes qui ont vendu leur parc social à des sociétés foncières cotées en Bourse.


En enterrant les propositions du CNR et en restant sourde aux connaissances scientifiques solidement établies par les politistes, sociologues, géographes ou économistes, la politique du logement apparaît pour ce qu’elle est réellement : à l’antipode des principes de rationalité et de concertation sur lesquels le Président comme le gouvernement prétendent fonder leur action, une politique guidée par une idéologie néo-libérale et austéritaire. Ce splendide isolement ne peut que conduire à renforcer les inégalités et à approfondir une crise du logement qui a déjà franchi plusieurs points de rupture, contribuant à dégrader durablement les vies de millions de nos concitoyennes et concitoyens ainsi que la cohésion sociale et politique du pays. Au moins les incendiaires sont-ils prévenus des conséquences de leurs décisions.



Premiers signataires

Marine Bourgeois (maîtresse de conférence à Sciences Po Grenoble, PACTE)
Anne Clerval (maîtresse de conférence à l'université Gustave Eiffel, CFR / ACP)
Fabien Desage (maître de conférence à l'université de Lille, CERAPS)
Renaud Epstein (professeur des universités à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, CESDIP)

Pierre Gilbert (maître de conférence à  l'université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, CRESPPA-CSU)

Ludovic Halbert (chargé de recherche au CRNS, LATTS)
Thomas Kirszbaum (chercheur indépendant, CERAPS)
Pierre Madec (chargé d'étude à l'OFCE, Sciences Po Paris)
Valérie Sala Pala (professeure des universités à l'université de Sainte-Étienne, TRIANGLE)





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Mobilisation créée par Politiques du logement – Collectif de chercheurs et chercheuses spécialistes du logement
5/4/2024

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