"Ecoles normales du 21e siècle" ? Le recrutement et la formation des enseignants méritent mieux que formules creuses et énième réforme bâclée.

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« Écoles normales du XXIe siècle » ? Le recrutement et la formation des enseignants méritent mieux que formules creuses et énième réforme bâclée.

Pour résoudre la grave crise de recrutement à laquelle le ministère de l’Éducation nationale fait face, Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont annoncé à l’automne 2023 vouloir de nouveau restructurer concours et formation des enseignants. Cette annonce survient deux ans à peine après la dernière réforme des concours et de la formation initiale, portée par Jean-Michel Blanquer et appliquée à partir de la rentrée 2021.


À ce jour, la seule indication donnée aux représentants des personnels et aux établissements de formation sur l’orientation du projet est celle d’un « scénario cible » d’un concours de recrutement en fin de licence, à la suite duquel les enseignantes et enseignants stagiaires suivraient une formation de deux ans en alternance, conduisant à l’obtention d’un master. L’évocation d’« écoles normales du XXIe siècle » par le président puis par le Premier ministre relève surtout du slogan jouant sur la nostalgie du bon vieux temps, rien n’ayant été dit sur le plan des contenus ou de l’organisation prévus.

Vers une nouvelle réforme bâclée
La précipitation avec laquelle cette réforme est menée, et l’absence totale de concertation ne peuvent conduire qu’à de nouveaux échecs, après celui de la réforme imposée par Jean-Michel Blanquer en 2021.


Retour sur la réforme de 2021
En 2021, les concours de recrutement des professeurs des écoles et du secondaire, ainsi que des conseillers principaux d’éducation, ont été placés en fin de master 2, et non plus en fin de master 1.


Deux voies distinctes ont été créées pour l’entrée dans le métier, le concours pouvant être passé soit avec un master professionnalisant « Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation » (MEEF), ce qui entraine une affectation à plein temps juste après la réussite au concours (les temps de stage effectués en master étant jugés suffisamment formateurs) ; soit après un autre master, ouvrant dans ce cas sur une année de stage en alternance, avec un mi-temps d’enseignement, et un mi-temps en formation.


À l’annonce de ces projets, toutes les catégories de personnels et d’établissements concernés (universités, INSPE, enseignants du 1er et 2nd degré) avaient alerté sur les conséquences à craindre de ce système, qui se vérifient aujourd’hui : l’entrée plus tardive dans le métier a précarisé les étudiantes et étudiants se trouvant dans l’obligation de financer une année d’étude supplémentaire avant le recrutement, ce qui a contribué à détourner des jeunes de la voie de l’enseignement ; la préparation conjointe d’un concours, d’un master et la réalisation de stages de longue durée au cours du master a conduit à un alourdissement de la formation dans les masters MEEF, formation qui se voit de plus en plus éclatée entre des objectifs et des temporalités différents... on est loin de l’amélioration de l’entrée dans le métier qui avait été promise.


Une réforme menée à marche forcée
Aujourd’hui, face à une situation critique pour le recrutement dans l’éducation, aucun bilan approfondi n’a été tiré de ce qui a largement échoué, avant de mettre sur les rails une nouvelle réforme.


C’est de nouveau sans aucune concertation avec les personnels et établissements concernés que les grandes lignes du projet sont dessinées. Les prévisions et alertes qu’ils exprimaient en 2021 se sont vérifiées ; mais leur expérience et leur expertise sont encore une fois ignorées.


C’est de nouveau dans la précipitation la plus folle que l’application de cette nouvelle réforme est souhaitée, selon un calendrier incompatible avec la construction d’un parcours cohérent et lisible. Très concrètement, le nouveau concours aurait lieu d’après les déclarations de Gabriel Attal en fin de licence dès 2025 : il concernerait donc prioritairement les étudiantes et étudiants actuellement en deuxième année de licence, qui ont commencé leur cursus universitaire en 2021 avec comme horizon l’éventuelle préparation d’un concours pour devenir enseignant en 2e année de master… sur quels contenus ces promotions pourraient-elles passer des épreuves de concours, alors que les licences dans lesquelles elles se sont engagées n’ont pas été conçues dans cette optique ? Comment une pareille improvisation pourrait-elle déclencher davantage de vocations dès la licence auprès de jeunes qui depuis deux ans se projettent dans un autre système ?


Au-delà de l’inconséquence de cette improvisation, il est tout simplement ahurissant que l’annonce du positionnement des concours en fin de licence précède toute réflexion sur les contenus sur la base desquels il conviendrait de recruter pour le métier d’enseignant - notamment, quelles connaissances disciplinaires viser en L3, pour que l’avancement du concours ne conduise pas à un abaissement du niveau de recrutement par rapport au recrutement actuel en fin de M2 ? quelle évaluation de premières compétences professionnelles, sur quelle base au niveau licence, quand la plupart des cursus n’ont encore été l’occasion d’aucune pratique professionnelle ? quel partage entre les pré-requis sur lesquels se fonderait le concours et les contenus à aborder lors des deux années de formation ensuite ?

Les contenus ne sont-ils qu’un détail sans importance, quand le niveau de formation du corps enseignant apparait pourtant comme un critère déterminant des performances des systèmes éducatifs ?


Comment croire que des personnels recrutés et formés dans cette improvisation seraient plus qualifiés pour faire progresser les élèves ?


La menace d’un projet réactionnaire
Cette apparente improvisation ne cacherait-elle pas une réforme dans la droite ligne des autres annonces sur l’éducation : uniforme, SNU, redoublement, groupes de niveaux, manuels labellisés… Quelle formation veut-on nous imposer dans la précipitation pour recruter et « former » des enseignantes et enseignants qui n’auront pour mission que de mettre en œuvre le « choc des savoirs » en suivant des procédures formatées et contraintes ?


Derrière le slogan des écoles normales du 21e, ne s’agit-il pas de revenir sur l’inscription de la formation à l’enseignement dans un cursus universitaire garant d’une formation appuyée sur la diversité des disciplines en jeu dans l’enseignement (disciplines d’enseignement mais aussi sciences de l’éducation dans leur diversité) et une initiation à la recherche qui participe pleinement de l’acquisition de compétences réflexives, indispensables à l’exercice du métier ?


La place donnée à la formation continue en dit long sur la vision du métier portée par le ministère : les temps de formation ne sont plus considérés comme du temps de travail et doivent être pris sur les vacances ; les formations proposées relèvent d’une approche complètement descendante tournée vers la diffusion de prétendues « bonnes pratiques » à appliquer sans recul réflexif, à rebours de tout ce qu’on sait de la complexité des situations d’enseignement et de la pratique du métier, et à contresens de ce qui se fait dans les pays dont les enquêtes internationales montrent la meilleure capacité à faire apprendre l’ensemble des élèves.


Dans ce contexte, même si les annonces faites restent des plus vagues en termes de contenus, il est évident que le projet du gouvernement est loin de toute vision ambitieuse d’une formation à caractère universitaire et professionnel de haut niveau. Celle-ci est pourtant indispensable, tant pour rendre le métier plus attractif, en le reconnaissant pleinement comme un métier exigeant de conception reposant sur la créativité, que pour favoriser les apprentissages, les progrès et l’émancipation des élèves.



Mobilisation créée par Hélène Raux
3/2/2024

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