Ce jeudi, le Premier ministre a reporté sine die la réforme du congé paternité. Les collectifs Congé ParentÉgalité et PA.F - pour une PArentalité Féministe - estiment que l'allongement du congé paternité est un levier majeur pour l'égalité entre les femmes et les hommes, aussi important que la création d’un congé maternité unique pour toutes les femmes.
(Premier.es signataires : Nadia-Leïla Aïssaoui, sociologue, féministe, Maud Alpi, réalisatrice, Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter Les Glorieuses et activiste, Camille Andres, journaliste indépendante, Asaf Bachrach, chercheur, CNRS Aurore Balsan, citoyenne, Antoine Baranger, consultant, Baptiste Beaulieu, écrivain et médecin, Caroline Bélières, citoyenne, Evelyne Berchtold, ex-analyste financière, actuelle mère au foyer, Mathilde Bertrand, enseignante)
Ce ne sont pas les arguments qui manquent pour justifier la réforme du congé pour le deuxième parent. Économiques, sociaux, progressistes, féministes, ou simplement humanistes, il y a de quoi faire consensus, au point qu’il paraît insensé que le gouvernement actuel résiste à une telle avancée.
En France, une salariée a droit à un congé maternité de 16 semaines, dont 8 obligatoires. Un salarié, lui, dispose d’un congé paternité facultatif de 11 jours. À profils semblables, un employeur choisira donc un homme plutôt qu’une femme, jugée moins fiable du fait de son statut de potentielle “salariée en congé maternité”.
De fait, l’organisation des congés “à la française” participe au maintien d’un système inégalitaire et patriarcal au travail, en biaisant les critères d’embauche et d’avancement. Si l’employée devient effectivement mère, elle passera certainement à côté des promotions auxquelles elle aurait pu prétendre. De plus, les femmes ont, entre 30 et 54 ans, neuf fois plus de chances qu’un homme de travailler à temps partiel et, par conséquent, de moins cotiser pour leur retraite. Conséquence de ces carrières en pointillés, une pension de retraite en moyenne 40% plus faible que celle des hommes.
L’organisation des congés “à la française” participe aussi au maintien d’un système inégalitaire et patriarcal dans l’intimité des foyers. Pendant les premiers mois de l’enfant se créent en effet les automatismes qui définiront pour les années à venir le fonctionnement parental. Faire assumer aux seules femmes les soins et tâches domestiques durant les premiers mois de l’enfant maintient le statu quo : les femmes réalisent toujours 71% du travail domestique. Ainsi vont de pair inégalité parentale et inégalité salariale.
Source de tensions dans les couples, ce mode de fonctionnement est aussi source de frustrations. La mère s’épuise, le père ou le second parent souffre d’être relégué au second rang pour les soins de l’enfant et de ne pas avoir le temps de sa “rencontre”. Les mères ne sont pas naturellement plus à l’aise avec les enfants, elles ont seulement trois mois de plus pour s’entraîner.
Enfin, si la durée du congé des mères est en théorie destinée à leur repos, il est illusoire de prétendre que leur rétablissement puisse être effectif alors qu’elles sont seules. A fortiori lorsque les conditions de vie sont précaires. Comme le souligne le rapport de l’IGAS, l’allongement du congé de paternité représente ainsi une mesure de santé publique : le parent qui n’accouche pas doit pouvoir soutenir la femme qui a accouché.
Seule une loi peut créer les conditions d’une parentalité à égalité, en rendant ce congé obligatoire et de même durée pour les deux parents, qu'ils soient travailleur·euses indépendant·es ou salarié·es. Le mécanisme de discrimination envers les femmes au travail sera maintenu, tant que les congés ne seront pas de durée exactement égale pour les deux parents. En outre, le congé paternité ne peut rester une “option”, au risque que le père ou second parent n’ose affirmer son choix de peur d’être discriminé à l’embauche ou dans sa carrière. La France pourrait ainsi s’inspirer du Portugal où le congé paternité vient d’être rendu obligatoire, ou encore de l’Islande où il existe depuis 2010 un congé naissance de neuf mois divisés à part égale.
Ces exemples voisins sont utiles pour réfléchir à la durée et au financement d’un tel congé et nous rappellent une chose : la réforme est faisable. Elle pourrait être un des piliers de “l’Europe sociale” que nous promet le gouvernement. À ce titre, il est incompréhensible que le Président s’oppose au projet de directive européenne qui vise à rendre obligatoire un congé paternité de 10 jours en Europe et à rééquilibrer l’utilisation du congé parental.
Le positionnement obtus de la France ne saurait être une question de budget. Aligner un congé paternel sur les 6 semaines de congé obligatoire de la mère après l’accouchement représenterait une enveloppe d’1,2 milliard d’euros, l’équivalent de 0,3 % des dépenses du régime général de l'Assurance Maladie, à répartir sous forme de cotisations entre salarié·es et employeur·euses. Ce milliard pèse également très peu face aux 80 dûs à l’évasion fiscale estimée chaque année.
Pour une réelle égalité, pour la santé des femmes et l’avenir de nos enfants, nous demandons au gouvernement d’instaurer un congé obligatoire pour le deuxième parent, aligné sur le congé maternité !