Contre l'irresponsabilité gouvernementale : l'enquête sur l' "islamogauchisme" à l'université n'a pas eu lieu parce qu'elle n'avait pas lieu d'être

0 100

Irresponsabilité gouvernementale :

l’enquête sur « l’islamogauchisme » à l’université n’aura pas lieu

 

Le 16 mars 2023, la Première ministre engage la responsabilité de son gouvernement pour faire adopter la loi sur les retraites sans la soumettre au vote de l’Assemblée nationale. En même temps, la parole du gouvernement ne l’engage en rien, y compris devant les députés : le 17 mars 2023, voilà ce que revendique le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR), face au recours introduit le 13 avril 2021 devant le Conseil d’État contre la décision de Frédérique Vidal de « lancer une enquête » sur « l’islamogauchisme » à l’université.

Malgré les relances des avocats comme des journalistes, c’est donc seulement deux ans plus tard que le ministère répond au Tribunal administratif de Paris, en assurant que cette annonce constituait « une simple déclaration d’intention », « sans effet juridique direct ». Les propos de la ministre n’engageraient donc pas sa responsabilité.

Souvenons-nous. Le 14 février 2021, Frédérique Vidal déclare que « l’islamogauchisme gangrène la société », mais aussi « l’université », et qu’elle a décidé de « demander au CNRS de faire une enquête […] pour distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Elle le répète les jours suivants dans d’autres médias et le confirme à l’Assemblée nationale en réponse à la question d’une députée.

En protestation contre cette « chasse aux sorcières », une tribune de 600 universitaires (avec bientôt 23000 signataires) réclame sa démission, l’accusant « de diffamer une profession et, au-delà, toute une communauté [...] qu’il lui appartient, en tant que ministre, de protéger. » En solidarité, 200 universitaires de langue anglaise publient une tribune dénonçant la « menace de censure » qui s’abat sur leurs collègues de France.

La ministre fait écho aux propos d’Emmanuel Macron qui, en juin 2020, accusait les universitaires de « casser la République en deux », amplifiés par son ministre de l’Éducation nationale : au lendemain de la mort de Samuel Paty, Jean-Michel Blanquer dénonçait des « complicités intellectuelles avec le terrorisme » pour s’en prendre aux « auteurs intellectuels de cet assassinat ». Les accusations de Frédérique Vidal sur un « islamogauchisme » universitaire imaginaire résonnent également avec l’argumentaire présidentiel pour la loi contre le « séparatisme », adoptée quelques mois plus tard.

Estimant que cette enquête constituait un abus caractérisé, empiétant gravement sur les libertés académiques, des universitaires ont alors formé un recours pour excès de pouvoir. Depuis, leurs avocats, William Bourdon et Vincent Brengarth, n’ont cessé de demander communication des actes constitutifs de cette enquête : silence de la ministre et du ministère.

Le mémoire qui vient d’être transmis en défense rompt enfin ce silence : « la demande d’enquête […] n’ayant pas été formalisée, et par suite aucune enquête n’ayant été diligentée ni aucun rapport d’enquête rédigé », il s’agirait d’une simple « déclaration d’intention ». Beaucoup de bruit pour rien, dira-t-on. Mais alors, pourquoi aura-t-il fallu un recours devant le Conseil d’État, et deux ans d’attente, pour donner cette réponse sans la rendre publique ?

C’est qu’il s’agit d’une politique d’intimidation visant à décourager l’exercice des savoirs critiques en encourageant leurs adversaires, dans et hors du monde académique. D’un côté, dès la publication de l’appel à la démission de la ministre de l’ESR, un blog d’extrême droite publie la « Liste des 600 gauchistes (et quelques autres) complices de l’islam radical qui pourrissent l’université et la France ». De l’autre, Jean-Michel Blanquer ouvre en janvier 2022 le colloque « Après la déconstruction » qui se tient en Sorbonne avec le soutien financier de son ministère. Pendant deux jours, les études sur le genre et les questions raciale et postcoloniale y sont pourfendues à grand bruit, au nom de la science mais fort peu scientifiquement.

Plus que jamais, les femmes et les minorités sexuelles et raciales doivent montrer patte blanche : c’est sur elles que pèsent au premier chef le soupçon idéologique et donc l’injonction de neutralité. Le résultat de ces campagnes, ce sont des orientations de la recherche abandonnées, des vocations découragées, des thèses qui ne verront pas le jour, des articles et des livres qui ne seront pas publiés, des financements pas attribués, des postes pas créés.

Cette affaire l’a bien montré, le gouvernement actuel préfère l’imprécation à la connaissance. Il veut faire croire que la menace qui pèse en France n’est pas la destruction sociale provoquée par son action ; c’est le prétendu « islamogauchisme ». Mais il y a plus. Ce que nous révèle le dénouement, c’est un mode de gouvernement : la parole politique irresponsable. Simple effet d’annonce ? En réalité, les annonces ont des effets. Le ministère répond qu’elles ne constituent pas des actes au sens juridique ; mais ce sont bien des actes politiques, et le gouvernement est comptable de leurs conséquences.

En démocratie, occuper des responsabilités interdit de se déclarer irresponsable. Nous ne pouvons accepter que nos ministres s’exemptent de rendre des comptes, au motif que l’annonce d’une décision n’est pas une décision. C’est pourquoi nous exigeons que le gouvernement assume enfin ses responsabilités. Ce qui a été annoncé doit être démenti tout aussi publiquement, dans les médias et devant la représentation nationale. L’enquête n’aura pas lieu ? C’est qu’elle n’avait pas lieu d’être. Son annonce aura pourtant causé des dommages, en même temps qu’aux minorités soupçonnées de « séparatisme », aux libertés académiques et à la crédibilité de la parole gouvernementale, bref, à la démocratie.


Mobilisation créée par Pétition "Non à l'irresponsabilité gouvernementale"
29/3/2023

Soutenir we sign it

Wesign.it ne vit que grâce aux dons et ne fait pas de commerce avec vos données. Pour maintenir ce service, soutenez-nous, les fonds serviront à payer le serveur, l'envoi de mails ainsi qu'un salaire à temps plein sur un an.

Soutenir WE SIGN IT